Le sol était humide et pourri. Les feuilles qui le recouvraient étaient humides et pourries. L’humeur aussi était humide. Et pourrie.
La forêt ne faisait de cadeau à personne. Biche, renard, castor ou vieil humain abîmé. Tout le monde était logé à la même enseigne. Celle de la faim, de la soif et de la peur. La peur d’être la proie d’un chasseur dissimulé. La peur d’une traque qui sera quoiqu’il arrive terminée avant même d’avoir commencé.
Pourtant la cabane offrait un semblant de calme et de paix, seulement troublé par le bruissement des feuilles et de l’eau du ruisseau. Une eau claire, fraiche, belle et attirante. Si attirante que l’on avait envie de s’y plonger tout entier et ne plus ressortir. Une eau pourtant empoisonnée depuis des décennies par la scierie municipale. Une mort invisible, travestie en un torrent brillant qui tuait en quelques heures au prix d’atroces souffrances.
L’homme en avait été le témoin quand, rongée par la soif autant que par la lente agonie d’un espoir disparu, la femme s’y était essayée. Les cris résonnent encore des mois après entre les arbres et ricochent à l’infini dans sa mémoire. Le pire dans tout ça ? C’est que pendant que la femme passait de vie à trépas, une seule pensée l’habitait : la peur que quelqu’un les entende et ne vienne le priver de sa cabane.
Sa cabane… Elle n’était pourtant pas à lui. Pas à lui, ni même à personne d’ailleurs. Avait-elle seulement été possédée par quelqu’un par le passé ? N’était-ce pas le genre de cabane qui avait toujours été là ? Inutile et inutilisée ? Un tas de bois poussiéreux qui n’a jamais été habité et qui semble avoir poussé de lui-même, à la manière d’un vieux champignon sur un tronc pourri ?
Sa cabane était toujours là, alors que la femme, ne l’était plus. L’eau continuait de couler, et les feuilles de tomber. Pourtant rien n’était plus comme avant. La dernière conserve avait été ingurgitée il y a maintenant quelques jours. Il allait maintenant falloir partir à la chasse. Arrêter de se penser la proie, et devenir le prédateur. Un prédateur sans arme. Un prédateur aux dents émoussées, peinant à tenir debout, rongé par le désespoir, la soif et la faim. Un prédateur ne sachant pas chasser.
Le bruit de l’eau en contrebas sembla s’intensifier. Alors qu’il était assis à même le sol, adossé au chambranle de la porte en proie à la plus vive désespérance de sa courte existence. L’idée d’utiliser ses dernière forces pour aller s’abreuver à la rivière une bonne fois pour toute revint dans son esprit.
C’est à ce moment qu’il remarqua la biche qui le regardait immobile à quelques mètres sur la gauche. Une biche au poil brillant et au regard vif. Une biche qui s’abreuvait dans le ruisseau, comme un pied de nez à la précarité de sa condition. Il avait soif. Il avait tellement soif.